L'ARBRE ET L'ENFANT
Une nouvelle rédigée dans le cadre d'un concours d'écriture.
C'est un sentiment que l'Arbre connaissait par cœur.
Une émotion, forte et silencieuse, qu'il avait appris à maîtriser au fil des
années. L'Arbre n'avait ni identité ni moyen de s'exprimer. Il restait planté là,
immobile. La seule force qui l'animait était celle de l'énergie présente dans les
fibres de son écorce jusque dans ses feuilles. Une énergie vitale puissante
provenant de la terre qui le nourrissait depuis maintenant deux cents longues
années.
S'il avait pleine conscience de son existence, l'Arbre était loin de se douter que
par-delà les collines se mêlaient d'autres énergies bien plus complexes que la
sienne. Plus évoluées et plus nombreuses, les plus puissantes d'entre elles
parvenaient à atteindre les profondeurs de la forêt pour s'unir à la vitalité des
bois. Une apparition rare et en tout point incomparable avec ce que l'Arbre avait
vécu tout au long de sa vie. Il ne savait pas d'où ces énergies provenaient ; elles
existaient, c'est tout.
À l'aube, le merle noir berçait la nature de ses notes aiguës. Un chant
magnifique annonçant la douceur du petit matin. Parmi toutes les énergies
présentes ce jour-là, il y en avait une que l'Arbre ne reconnaissait pas. Ce n'était
pas celle de l’écureuil sautant de branche en branche, ni celle du lapin mordillant
ses racines... Non, celle-ci était différente, mais indescriptible. Soudain, l'énergie
s'assombrit. Le silence remplaça le chant mélodieux du merle noir et un profond
sentiment de désarroi envahit l'Arbre. De petites gouttes d'eau vinrent humecter
ses racines. Était-ce donc la pluie qui le rendait si triste ? L'Arbre sentit l'énergie
se blottir contre lui. Les minutes passèrent les unes après les autres dans le
calme le plus absolu. La petite pluie avait cessé de tomber, laissant place à une
légère brise. La mélancolie accompagna alors la tristesse. Puis vint le
soulagement et enfin, la joie. Apaisé, l'Arbre se sentait bien.
La petite fille avait séché ses larmes. Elle leva les yeux au ciel et laissa les
premiers rayons du soleil réchauffer ses joues refroidies par la nuit. L'Enfant
avait sur son visage des marques aussi bleues que les myrtilles de ces bois. Elles
lui faisaient atrocement mal.
"Tu ne peux pas parler, dit-elle à l'Arbre d'un ton calme. Et pourtant, tu en dis
bien plus que ceux qui le peuvent".
L'Arbre décela une étrange vibration. Ce n'était pas celle du rouge-
gorge nourrissant ses bébés, ni celle du loup communiquant avec sa meute. Non,
celle-ci était différente. Il pouvait la comprendre mieux que n'importe quelle
autre.
Affaiblie, la petite fille se redressa lentement et regarda l'Arbre une dernière
fois avant de partir. Un sourire vint atténuer la dureté de ses traits.
"Je n'oublierai jamais"
Il voulut lui répondre, la réconforter. Mais l'énergie n'était plus là. Le silence
prit fin. Le renard s'attela à la construction de sa tanière, et le chant du merle reprit de plus belle. L'Arbre, lui, restait là. Immobile.
Lui non plus n'oubliera jamais.